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Célestin Freinet

(15 octobre 1896 – 8 octobre 1966)

« … nous sommes des hommes qui n'aimons pas suivre servilement. Partout nous défendons notre pensée et nos intérêts... »
(Lettre de Freinet à Mawet depuis le camp d'internement de Saint-Maximin, le 22/04/1940).

À l'école du bon sens à Gars

La commune de Gars en 1896 compte 203 garcinois et garcinoises, une population qui diminue progressivement déjà depuis une quarantaine d'années. La route qui conduit au village n'est pas encore goudronnée et les voitures ne s'y aventurent pas. Lorsqu'arrive le candidat à la députation avec sa belle auto, c'est un évènement dont on reparle encore. Des sommets sur le territoire de la commune culminent à 1471 et 1650 m.

Le village dans lequel nait le petit Célestin vit quasiment en autarcie. Le nom de Freinet appartient à deux branches importantes, descendants du Baron ou du Gavot. On trouvera la même importance pour les Torcat qui est le nom de jeune fille de la mère, accoucheuse dans le village et gérante de la boutique avec son mari Delphin Freinet, également agriculteur. L'école, comme la fontaine, est au centre du village. Elle accueille aussi bien les enfants de la commune que d'autres placés par l'Assistance publique jusqu'à l'âge de 13 ans. Les ainés 1 devront reprendre la ferme ou l'entreprise artisanale du père, ce qui ne nécessite pas d'être « savant ». Les autres sont placés pour apprendre un métier. C'est généralement l'instituteur qui désigne celui, rarement celle, qui devrait pouvoir continuer ses études. C'est dire si bien apprendre entre les murs d'une classe unique est important, mais jamais tant qu'à l'extérieur, dans les champs, en gardant les animaux ou en participant collectivement aux récoltes. La plus formatrice, pour le jeune Célestin, aura donc été l'école de la nature. Quittant Gars, Freinet sera pensionnaire à Grasse et entrera à l'École normale d’instituteurs de Nice en 1912. La déclaration de guerre en 1914 videra nombre d'écoles de leurs enseignants et voilà notre normalien nommé à 18 ans sur un poste d'enseignement, à Saint-Césaire-sur-Siagne, avant d'avoir achevé sa troisième année d'École normale. À peine a-t-il le temps de fleurter avec sa collègue Marie-Jeanne que le voilà mobilisé en avril de l'année suivante.

L'expérience de deux guerres

L'armée, ayant particulièrement besoin d'encadrement après les premières salves meurtrières, forme des enseignants. Freinet, entré à Saint-Cyr en aout 1915, sortira aspirant. Il sera envoyé dans la région de Belfort bombardée au début de l'année suivante. Il ne montera pas en grade, sa conception de l'autorité se révélant incompatible avec celle de l'armée pour qui, seul le gradé est en capacité de donner des ordres, lesquels ne se discutent pas. Pour lui, la guerre s'arrêtera en octobre 1917, la blessure qui handicapera toute sa vie, coïncidant avec la Révolution russe. Il ne sera libéré qu'en septembre 1918. Il ne rejoindra jamais son poste de suppléance à Contes puisque dans le même temps il fait un long séjour à l’hôpital de Nice.

1 Conformément à la nouvelle orthographe

C’est peut-être aussi parce qu’il a frôlé la mort et enduré de terribles souffrances qu’il accordera autant d’importance à la vie, à l’élan vital qui sera au cœur de sa pédagogie.

Si le communisme soviétique attire progressivement les intellectuels, il obsède l'armée qui va commencer à les faire surveiller. Les premiers rapports de police commencent dès 1919. L'anticommunisme, attisé par l'Action Française, fera de plus en plus recette au point d'obtenir le déplacement de Freinet. C'est l'affaire de Saint-Paul (1932-1934) qui va remonter jusqu'à Paris et au-delà même des frontières de la France, ce que n'aime pas du tout l’Éducation nationale. Le préfet et l'Inspecteur d'académie en viendront à placer le couple en « retraite ». L'ouverture de l'école privée de Vence ne mettra pas fin aux rapports de police et, la Seconde guerre mondiale à peine enclenchée, Freinet sera envoyé en camps de concentration : Saint-Maximin le 20/03 40), Chabanet 17/05, Hôpital de Privas (18/10/40), Chabanet le 23/11/40, Chibron le 28, Saint-Sulpice le 15/02/41. Dans les camps il fera l'école aux adultes, trans- posant la pédagogie qu'il a mise au point dans l'école primaire, donnant des con- férences, faisant écrire des textes libres, souvent dictés et recopiés sur cahiers d'écoliers, cours d'alphabé- tisation, théâtre. C'est aussi là qu'il écrira les bases de ses principaux livres, qui seront rédigés à Vallouise après sa libération, Vallouise où, avec Élise, il sera Résistant.

L'engagement syndical et politique

Dans le village, et une bonne partie du « pays » au vu des résultats aux élections, on votait traditionnellement plutôt à gauche avec les radicaux. Le syndicalisme étant interdit, nombre de professions se regrouperont en « amicales » plus ou moins revendicatives, puis en associations. Dès le début du XX e siècle, Nice, comme l'arrière-pays, avec en particulier les usines de fabrication de pâtes alimentaires, seront touchés par de grandes grèves largement relayées dans Le Petit niçois, journal à fort tirage. Au moins à partir de 1916, on trouve un projet d'électrification de Gars qui s'est rapidement heurté à d'autres ambitions politiques dans le canton, conduisant à des revendications. Freinet, initié à l'entraide, très jeune, au village, est impliqué à partir de 1925 dans le syndicat qui parviendra à installer une turbine électrique à Gars. Mais il avait déjà contribué à la création de la coopérative « L'abeille baroise » dès son arrivée à Le Bar-sur-Loup, puis de la Coopérative du pain à Vence. D'autres coopératives suivront pour réunir les enseignants dans des réseaux autour du Bar dans un premier temps, puis à Bordeaux à l'issue du congrès de 1927 (Coopérative cinématographique de l'Enseignement Laïc), transformée en CEL l'année suivante et déplacée à Cannes, pour fusionner avec la coopérative d'entraide qui réunissait les « Imprimeurs ».

Attiré par les milieux libertaires au sortir de la guerre, il écrira régulièrement dans l'École émancipée dès 1920. Il adhère au Parti Communiste, rompant de ce fait avec son ami Baptistin Giauffret de Roquestéron, pour suivre sa femme, encartée probablement depuis 1922. La troisième Internationale léniniste en 1921 va faire basculer le syndicalisme dans le communisme soviétique. Mais Freinet met une cloison entre son action, très réservée dans le Parti, et son enseignement. Exceptionnelle est sa présence dans les meetings communistes selon les enquêteurs de la police. Une seule prise de parole sera signalée lorsqu'il se sera agi de défendre Virgile Barel. Il écrit dans l'École émancipée en avril 1926, au moment même de son mariage : j'estime indéfendable une école qui serait asservie par un parti pour le triomphe illusoire d'une quelconquepolitique. Quant aux revues syndicales, Freinet se sert avant tout de leurs colonnes pour diffuser sa pédagogie, ce qui le rendra suspect, lorsque les enseignants seront autorisés à se syndiquer.

L'instituteur se construit

Si nous ne savons rien de son premier poste à Saint-Césaire-sur-Siagne, le seul rapport d'inspection retrouvé ne s'intéressant pas à la pédagogie. Des pages de carnets arrachées nous donnent une idée de ses centres d'intérêt en 1919 à Daluis. Il occupe un poste de suppléant pendant au moins 5 mois et note de nombreuses réflexions d'enfants ou de questions à poser dans le village. Si nous ne pouvons pas affirmer qu'il organisait des débats dans sa classe nous avons la certitude de l'intérêt qu'il porte aux paroles des enfants. Dans ces réflexions on peut voir des amorces de textes libres oraux retranscrits.

Sa détermination à exercer son métier d'enseignant nous laisse supposer qu'il profite de ses séjours dans les hôpitaux, probablement dès 1918, pour lire, en préparation de son retour en classe. Rousseau, Pestalozzi, Tagore, Tolstoï le conduiront progressivement vers les théoriciens de l'École Nouvelle, avec Ferrière, Decroly, Maria Montessori, Helen Parkhurst, Dewey... S'il écrit son premier article fin 1919 à paraitre le 1 er janvier de l'année suivante, c'est qu'il a déjà une culture pédagogique. Il y traduit de l'allemand : La matière de l’enseignement est le résultat des recherches et des expériences d’autres hommes et de femmes. Le troisième article, en octobre, est un rapport du congrès fondateur de l'ITE à Bordeaux, coécrit avec Heinrich Siems qui l'invitera à visiter les écoles libertaires de Hambourg pendant les vacances de l'année suivante. Il met alors l'accent sur le pacifisme et la Fonds Madeleine Freinet – médiathèque de Vence laïcité. Faire vivre les enfants en République dès l'école. Nous dirions aujourd'hui faire d'eux des citoyens.

Vers 1923, probablement par Decroly, il s'intéresse à l'imprimerie qu'il mettra au centre de sa classe et de sa pédagogie à Le Bar-sur-Loup l'année suivante. Commencent les premiers essais comparés avec une école de Villeurbanne qui préfigurent la constitution d'un réseau d'Imprimeurs. La première corres- pondance suivie commence en 1926 avec des échanges réguliers de textes libres imprimés par les enfants, entre Freinet et René Daniel en Bretagne. Très vite seront mis en place des réseaux d'échanges de colis entre enfants, et entre adultes, contenant aussi bien des courriers que des journaux scolaires, des objets, de la nourriture et même des films.

1925 sera également une étape importante avec son voyage en URSS, parcourue du nord au sud le long de la Volga, qui lui feront ajouter à ses références des noms comme Pistrak, Nadejda Kroupskaya, Makarenko... L'organisation des pionniers repose sur le projet à la conception duquel participent les jeunes.

Freinet devient Freinet

Freinet ne s'est pas fait tout seul. Il s'est inspiré de recherches et d'expériences qui ont été discutées et mises en pratique dans un véritable réseau d'instituteurs qui rapidement couvre tout le territoire français et, à partir du congrès de Tours en 1927, va essaimer en Belgique, Espagne, Pologne, Russie pour toucher une quinzaine de pays, jusqu'en Argentine en 1928. Freinet, c'est bien entendu monsieur ET madame Freinet.

Commence à s'élaborer une théorie reposant sur des pratiques. Refusant de se laisser enfermer dans une méthode, contrairement à Mme Montessori, le mouvement naissant de l'École moderne conçoit et perfectionne des Techniques. La première repose sur les sorties scolaires qui permettent une étude du milieu dans lequel vivent les enfants. Ce faisant, les apprentissages ne sont plus cloisonnés en disciplines. Quand les enfants enquêtent sur un métier pratiqué dans le village, ils ne séparent pas le français des mathématiques et du travail manuel.

Journal scolaire et correspondance permettent d'apprendre en confrontant des coutumes, des savoirs, des expériences dans des régions et pays différents qu'on exploitera en classe ou prolongera par des recherches en histoire, en géographie, en sciences tout en enrichissant son écriture. L'enfant est mis ensituation de chercheur et non de copiste. Aussi bien en mathématiques qu'en toutes sciences. Ce sera le tâtonnement expérimental, lequel loin de sanctionner l'erreur, la justifie comme étape, en ce qu'elle permet d'avancer. L'enfant apprend à lire en écrivant des textes utiles et en les imprimant pour les valoriser et partager. Le projet à tous niveaux constitue la base de notre pédagogie.

La Réunion installe les valeurs de citoyenneté dans la classe. On décide ensemble ce qui concerne aussi bien les projets, la gestion de la coopérative, sans perdre du vue la vocation première de l'école. On y planifie travail individuel et collectif. On y règle également les conflits quand c'est nécessaire.

Dans une classe Freinet, le maitre n'est pas absent. Il provoque le besoin, le désir, la curiosité. Il anime. Il est garant des apprentissages en les formalisant. Si l'erreur n'est pas une faute, elle ne saurait servir de modèle pour autant. Un texte imprimé est corrigé. Les termes scientifiques approximatifs sont renommés.

Rencontre Internationale des Éducateurs Freinet
fonds MCE-FIMEM

Le Mouvement de l'École moderne s'étend et évolue avec son époque Il intègre toutes découvertes pédagogiques avec toujours le même souci de cohérence. On ne peut se contenter d'une recette mais on peut intégrer de nouvelles techniques empruntées à d'autres pédagogies ou en rejeter certaines lorsqu'elles sont inadaptées à notre vision personnelle ou à un milieu particulier. L'imprimerie, le disque, le cinéma, la radio, la télévision, l'informatique, le téléphone portable sont entrés dans nos classes comme outils dans la même cohérence pédagogique, comme nous nous sommes intéressés à Lev Vygotski, Paolo Freire ou Karl Rogers, sans pour autant nous fondre dans leurs théories, privilégiant toujours l'interstructuration (Louis Not) centrée sur l'apprenant dans un contexte de coopération.

Nous avons transposé nos techniques dans tous les types d'éducation, de la crèche à l'université en passant par la maternelle, l'élémentaire, le collège et les différentes formes du lycée, sans oublier la pédagogie sociale pour les plus démunis, écartés, voire victimes de l'école.

Nos valeurs demeurent et sont revendiquées par l'ensemble de nos adhérents en France comme dans une soixantaine de pays au monde, groupes indépendants ou affiliés à notre Fédération internationale (FIMEM) : une école inclusive qui donne les mêmes chances à toutes et tous ses enfants, élèves et étudiants, une école laïque, publique en France, libérée de tout prosélytisme qu'il soit philosophique, religieux, politique ou commercial.

Un siècle plus tard, la pédagogie Freinet reste une réponse efficace contre la dévalorisation actuelle de l'enseignement.

Les Amis de Freinet
ICEM-Pédagogie Freinet